L’événement tant attendu de ces deuxièmes Rencontres Cinématographiques du Sud arrive : l’hommage à Robert Guédiguian. Plus que quelques minutes avant la rencontre. Mais voilà que nous apprenons à notre grand regret que nous serions dans l’obligation d’écourter notre présence à cet hommage pour rencontrer Mohamed Fellag, un acteur vu deux jours auparavant dans le formidable et émouvant Mr. Lazhar. Nous sommes partagés entre terrible frustration et grande excitation…
Après la projection des Neiges du Kilimandjaro, l’équipe du film arrive. Commence alors un long moment ponctué de magie, d’émotion et de reconnaissance. Trop tard, on nous apprend que nous devons quitter la salle pour l’entretien.
Caméra ? Ok ! Appareil photo ? OK ! Papier-feuilles-stylos ? Ok !
Essayant de se faire les plus discrets possible pour ne pas perturber l’hommage nous passons entre les rangs. On nous mène alors au 83.Vernet, un restaurant dont le prix des repas représenterait l’équivalent de nos courses du mois. Quinze minutes c’est le temps que nous aurions. Quinze minutes c’est bien peu. Qu’est-ce qu’un homme peut livrer de lui en quinze minutes ?
Arrive enfin le moment tant attendu. Il est là, au loin, il se rapproche, non c’est nous qui nous rapprochons, il nous salue, nous le lui rendons timidement. Le temps que nos prédécesseurs nous laissent leur place, l’impensable se produit : la batterie de la caméra s’est déchargée et l’appareil photo est défaillant.
Les moyens techniques pour l’interview de Fellag ne sont pas excellents, c’est le moins que l’on puisse dire. La poisse nous guette. Nous disposons alors de quinze minutes, d’une caméra déchargée, d’un appareil photo peu fiable, de papier et de deux crayons (pour quatre). Heureusement, nous avons encore huit oreilles et quatre cerveaux pour enregistrer ce que Mohamed Fellag voudra bien nous livrer.
Nous sommes alors saisis par une impression de déjà-vu. Mohamed Fellag n’est pas Monsieur Lazhar bien sûr mais il affiche la même mine enjouée et tranquille, le même sourire intelligent que son personnage. On devine alors que chez Monsieur Lazhar, Monsieur Fellag n’est jamais loin. L’artiste l’avoue lui-même, ce personnage résonne en lui. Comme lui et quelque deux cent mille Algériens, il a dû fuir son pays. L’acteur pioche dans sa réserve personnelle, met à profit « les cinq ou six pour cent de ressemblance avec le personnage » pour sa composition. Pour le décrire, M. Fellag lui prête ces mots d’Henri Callet : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes » et utilise la métaphore d’un verre d’eau qui, rempli à ras bord, peut déborder à tout moment. Afin d’apaiser son propre drame le professeur enfoui son malheur sous celui des autres. Bien habile celui qui décèlera son histoire ; un drame que personne ne voudrait vivre.
Monsieur Lazhar est un équilibriste, qui tente d’oublier le vide au-dessus duquel il marche tant bien que mal en se consacrant jour et nuit à la reconstruction d’élèves bouleversés par le suicide de leur institutrice. Il nous avoue également que, durant le tournage, il essayait de maintenir une distance vis-à-vis des enfants (formidables par ailleurs) afin de créer à l’écran ce rapport complexe et plus naturel.
Jouer un drame ou une comédie après tout quelle différence ? Que le public pleure ou s’esclaffe la jouissance est la même. « Peu importe le flacon pourvu qu’il y ait l’ivresse ». L’interview n’est malheureusement pas assez longue pour qu’il se raconte mais c’est un régal de l’entendre parler de son personnage.
Ce bref entretien nous permet au moins d’esquisser la silhouette d’un homme généreux et modeste. D’ailleurs, il se fiche un peu des Oscars et autres récompenses. La plus belle reconnaissance est toujours celle du public, celui qui recevra la « flèche émotionnelle » en plein cœur.